BRIDGE OF SPIES

SUR LA ROUTE DU CINÉMA par Dan Albertini

Un titre original de Steven Spielberg mettant en vedette Tom Hanks dans le rôle de James B Donovan, un avocat spécialisé dans les assurances, dans une affaire d’espion russe à échanger.

Je veux préciser (3) choses au préalable : 1) chaque Américain devrait revoir ce film afin de comprendre pourquoi on n’enlève à son trader un millième de l’instrument de négociation ; 2) c’est un film extraordinaire où Spielberg ne rabaisse pas le standard de l’acteur qu’est Tom Hanks dans le rôle de l’avocat James B. Donovan, qu’il soutient à l’adresse du film Philadelphia, si on remontait, à Forrest Gump ; 3) le film n’est récent, il est un pur produit d’Hollywood. Le lecteur doit savoir que je ne suis à la solde de, mais sur l’observatoire Haollywood. Ici la compréhension est politique.

Le film est basé sur un principe. « stoykiy muzhik », l’homme qui se tient debout. L’épreuve se trouve là, à cette enseigne. Un enseignement qui renforce les cordes de l’avocat Donovan face à l’honorable juge Mortimer W Byers qui va peut-être prendre la plus importante décision de sa vie. Elle est de politique nationaliste. C’est ainsi que James va battre le système, se tenant strictement dans le droit, dans les faits car les considérations ne sont la loi mais frivoles. Elles comptent pourtant. Habitué aux ententes hors-cour, James va mettre à contribution ces mêmes considérations. Le film le démontre en même temps que l’audition de la cour Suprême. Un pilote américain espion se fait prendre dans un très sophistiqué et secret aéronef des États-Unis, survolant le territoire de l’Union Soviétique. Là où il ne faut surtout pas se faire capturer en vie car l’arme se retourne contre le porteur. Il faut mourir, par suicide.

La victoire n’est la gloire pour Donovan, le défi est la logique à décrocher. La gloire est ce défi. Ce film met en relief le besoin de se sentir américain face à l’autre qui se définit par la nature et le sens de ses intérêts éloignés ou immédiats. Une nuance, la peur n’est une option, elle doit siéger chez l’adversaire. Une fois le courant établi, les affaires reprennent mais on ne lâche le morceau qu’une fois le courant établi. La loi, la raison, le principe qui fait de vous cet Américain à défendre est la seule garantie qui tienne, que vous soyez d’origine, de naissance ou d’adoption, vous êtes américain. C’est aussi ce devoir qui vous incombe dans la protection de l’humanité. L’autre bord est sombre. Le jeu devient un émouvant thriller qui tient en haleine tout en rappelant les images, les controverses et les paradoxes de la réalité soviétique. Un Est-Allemand est un Allemand. Il faut donc humilier. L’inverse est aussi vrai. La guerre froide.

Donovan doit donc rencontrer Vogel. Un trader, négociateur tant pour Prior que pour le pilote américain. L’accueil en sol Est-Allemand est marqué par la présence d’un chien affamé dans le froid. De voleurs aussi, ils sont des espions déguisés. Donovan doit sauver Prior aussi, il est subitement le fils de l’un de ses associés. Mission cachée ou non révélée, elle doit rester secrète mais dans le trading. Ceci se passe dans un Berlin-Est que les Soviétiques tiennent en otage en fait par rapport à Berlin-Ouest. Nul n’ignore le poids du génie cinématographique américain, même dans la politique, ou en diplomatie. Le cinéma américain est souvent en soi un Think Tank disponible pour tous, où l’on se réfère en situation d’exception. Powell en parle dans son ouvrage. Même la cuisine américaine fait office de diplomatie, de propagande. Le Déjeuner américain, la différence est remarquable. L’allemand voit son profit.

Mise en situation de Spielberg. Un espion n’est pas un traître, il est de l’autre bord. Il est donc la monnaie d’échange potentielle que l’on se doive de tenir en santé, en vie. Disponible aussi, donc sous haute surveillance. Quand colonel Rudolf Ivanovich Abel a été attrapé à Brooklyn, il y vivait déjà ses années de retraite car il est parti jeune de son pays. La partition du mur de Berlin va mettre aussi en exergue la naïveté d’une jeunesse américaine attirée par des études économiques du Bloc. Elle se croit tout permis par cette assurance qui met en scène le lieutenant pilote Gary Powers. Dans une situation périlleuse secrète où il se fait prendre, où le système ne lui accorde de crédit malgré son sacrifice. Américain donc signifie valeur pour Prior. Jeune étudiant intéressé aux thèses du Bloc de l’Est. Le film se déroule sans incident, c’est-à-dire sans compromis, même la propagande définit l’adversaire comme le monstre, c’est le but. La différence : une Amérique, un Bloc de l’Est. Une guerre. Elle est froide.

Spielberg a réussi avec beaucoup d’éloquences, autant que Tom Hanks dans son  rôle que celui du colonel Abel. Les arts sont mis au maximum de leurs creusets, par exemple les talents extraordinaires de l’artiste peintre qu’est le colonel Abel, fin psychologue d’ailleurs. Spielberg ne pêche pas dans sa volonté américaine, il met en lumière certaines faiblesses des agents américains qui ne manquent pas de rappeler les impasses que vivent actuellement les grandes agences de renseignements américains dans le dossier de la présidence rapprochée de Donald Trump Jr. Un trader avéré.

Donovan doit défendre le colonel Abel sur demande du système et du Barreau, afin de laisser l’impression que le principe sacré du droit à la défense règne aux États-Unis d’Amérique. À la différence de l’Union Soviétique où le droit à la torture est alors un droit sacré. Ce sont des marques de commerce. Les dés sont cependant pipés à l’avance car l’adversaire doit payer quand il est pris à titre d’ennemi. Le juge devient purement et simplement l’Américain nationaliste au dépens du légal. Donovan est by the book dans son cas et c’est ce qui va lui fournir les arguments nécessaires dans une arène chargée de fauves dont la CIA, le FBI, et j’en passe. Stoïque, le colonel Abel ne négocie point. Il se tient à une phrase à toute question troublante ou pas. « Ça pourrait m’aider » ? C’est de là la bataille juridique que va livrer James B. Donovan face au gigantisme systémique de son pays dont sa propre famille ou le preneur de métro aussi, dans une société dite-de-droit. De jugement hâtif aussi.

Ce qui a d’extraordinaire dans le cinéma américain, c’est  que tout film hollywoodien ou autre obéit à une règle esthétique, elle est nationaliste et répond à un besoin de distinction entre chaque corps soit de métier, soit d’autorité, soit de sciences appliquées. La différence va s’illustrer par une apparence de conflit de l’ordre des compétences. Elle va se résumer par une mise en situation exemplaire. La prise en charge des responsabilités et le héros répond à l’appel du décor au péril de sa vie. Un instinct humanitaire qui fera de lui un héros dans la plupart des cas. C’est là la force du rêve américain urbain. Le second point du principe est la hiérarchie horizontale pour le maintien des compétences hiérarchiques. On aura beau savoir le frame que le réalisateur sait surprendre. C’est là le génie du cinéma américain.

Chaque département a son manager. Chaque manager semble avoir raison et détient son autorité légitime mais cela prend un coordinateur. Il possède une vue d’ensemble même s’il doit faire appel à la compétence spécifique d’un manager pour une situation donnée. La chaîne de transmission obéira à cette règle par le soin des garde-fous, d’où le statut de commandant en chef protégé. La CIA a ainsi fait appel à un négociateur en qui elle dépose les pouvoirs qui lui sont conférés. Le pouvoir discrétionnaire.

Me. Donovan va accepter un véritable défi qui fera de lui le prochain trader même du Président Kennedy dans d’autres affaires internationales où la diplomatie ne tient lieu que de perdant. Quand vous êtes assis par contre à mon adresse où vous regardez les films loués à votre bibliothèque municipale par défaut de compagne, d’amie de cœur ou de fornication bien entendu, dans un hiver glacial hors de l’ordinaire, vous n’avez plus d’autres choix que de visionner à répétition le meilleur. C’est dans ce cadre-là que je me force dans un bassin d’analyse sur le dos d’un film américain. Spielberg sait livrer, Hanks sait jouer et vous découvrez la musique de film de ce film où dans mon cas, je me demande si Harold Faustin ne peut pas produire en conséquence. Quand malgré tout la musique du générique semble du genre Europe de l’Est, c’est comme si j’entends des voix mises en chœur dans la voix de Florence Augustin, avec des mots créoles prononcés si bref que l’on ne tient lieu de traduction et que ça passe universel. Je délire depuis la première lumière de l’écran peut-être, mais je vous assure que je me suis senti cinéaste à ce chapitre. Sauf que le producteur est notre fidèle Léopold.

Merci d’y croire !

dan@albertini.co